Les investissements des entreprises privées dans leur
système d’informations comptable et financier se développent avec les missions
de plus en plus larges demandées au directeur financier. En plus des besoins
classiques propres à la comptabilité privée, les directions financières doivent répondre à la demande (le plus
souvent règlementaire) en contrôle financier (traçabilité, suivi des flux
financiers dès leur origine) et en prévision économique (plans, budgets,
forecasts, simulations).
Les systèmes d’informations comptables et financiers
doivent alors s’aligner sur ces exigences, plus fortes, de traitement de l’information financière
passée, présente et future. C’est la condition sine qua non pour que la
direction financière confirme son positionnement
de conseiller stratégique auprès de ses clients internes que sont les
décideurs opérationnels de l’entreprise.
Choisir un progiciel (ou un package d’applications)
comptable et financier devient alors une opération complexe qui prend en compte
non seulement la technicité inhérente à la règlementation comptable et fiscale
mais aussi la transformation progressive
de la mission de la direction financière dans son ensemble.
Le directeur financier, en tant que dirigeant
d’entreprise, membre de l’instance de pilotage,
est impliqué au premier chef par les quatre questions suivantes :
- Comment sécuriser les processus de traitement et de restitution de
l’information qui répondent aux exigences des autorités de contrôle ?
- Comment identifier les vecteurs de croissance,
les facteurs de réduction de coûts
tout en conjecturant les risques ?
- Comment anticiper les changements du marché (métier, partenaires,
environnement économique) par une planification de l’activité ?
- Comment aligner les activités quotidiennes sur les objectifs stratégiques, le court terme sur le long terme ?
En plus de sa position de dirigeant, il doit traiter ces
points dans le cadre de la mission qu’est celle de la direction financière. Et
son client interne est le comité de direction auquel il appartient.
Le support
principal à la mission de la direction financière est le système
d’informations. Il est généralement aligné
avec les processus de ladite direction
financière, dans sa vision traditionnelle (comptabilité générale et analytique)
voire son rôle étendu (contrôle de gestion et budget).
Cet alignement était adapté
quand le rôle de la direction financière était sous tendu par des
problématiques de déclaration fiscale et de publication des comptes. Il est
devenu plus compliqué quand le contrôle de gestion s’est industrialisé pour dépasser la seule comptabilité
analytique. Et la prise en compte des aspects prévisionnels (plan, budget,
forecasts) et prospectifs (simulations) a souvent amené des aménagements du système d’informations
difficiles à concilier avec les nouveaux processus qu’il supporte.
De cette évolution du rôle de la direction financière
s’est détachée une structure bicéphale:
- La comptabilité au sens
large;
- Le contrôle de gestion.
Et le système d’informations s’est naturellement scindé en deux parties distinctes, pratiquement indépendantes,
pas toujours faciles à réconcilier.
Depuis l’émergence des progiciels (et encore plus des
systèmes intégrés), s’est développée une
offre de services propre à l’aide au choix de solutions packagées. Cette
offre de services s’applique de la même façon, généralement, quel que soit le
domaine fonctionnel couvert par le progiciel à choisir. La méthode utilisée
n’est ainsi pas spécifique aux choix de solutions comptables et financières.
En voici les principales phases:
- Business
case
(objectifs, enjeux, budget, trajectoire,
risques, …) ;
- Expression
de besoins détaillée jusqu’à la rédaction d’un cahier des charges;
- Sélection des
progiciels éligibles et lancement de la consultation
(appel d’offres);
- Qualification des
progiciels consultés;
- Préconisation.
Le plus souvent, cette méthode se focalise sur le projet
de transformation du système d’informations et permet dès le début de définir
ce qui en est attendu (et même parfois de le quantifier en ROI). Elle est efficace car elle permet, en avance de phase, de mettre en place la structure projet et
de mobiliser toutes les énergies
nécessaires à sa réussite, avant même que le progiciel ne soit choisi.
Réussir une aide au choix de cette manière demande une
attention particulière sur des points importants, souvent indépendants du
projet lui-même ou de la technicité de la cible fonctionnelle.
Pour illustrer ce propos, en voici quelques exemples:
- Le Business Case est
généralement validé par le management de l’entreprise cliente. L’équipe interne
qui sera mandatée sur les phases suivantes doit être en accord avec le résultat du Business Case et capable (ou
suffisamment légitime) de déployer le
message auprès des populations les plus impactées par le projet.
- Les éditeurs de progiciel
sont aguerris à l’exercice. Ils ont des équipes spécialisées dans les
démonstrations produit, outillées de kits d’avant-vente éprouvés. Pour mieux
évaluer la capacité d’un progiciel à répondre au besoin du client, il est
recommandé de scénariser la
démonstration à l’avance, sur la base des processus cibles du client, avec ses
jeux de données. Cette scénarisation évite que soit choisi le meilleur
démonstrateur au détriment du progiciel le plus adapté.
- Réussir un projet de mise en
œuvre d’un système d’informations packagé n’est pas lié à la seule qualité du
progiciel choisi. Il n’est pas rare de choisir un produit qui réponde
parfaitement (voire au-delà) au périmètre fonctionnel visé, qui bénéficie d’une
ergonomie adaptée à la population utilisatrice cible et dont pourtant
l’intégration va être compliquée du fait de facteurs indépendants de ladite
solution. C’est souvent le cas quand le
progiciel est trop complexe à mettre en œuvre au regard des moyens internes
du client ou quand l’écosystème des
intégrateurs existants est trop faible (avec un risque fort de contention
sur les ressources de mise en œuvre).
Cette
approche classique atteint néanmoins rapidement ses limites quand il s’agit de
traiter de la sphère de responsabilité de la direction financière.
- Bien qu’elle soit efficace pour un champ d’application
aussi normalisé que la comptabilité
d’entreprise, elle privilégie la composante de projet (sous l’angle du
système d’informations) de la transformation au détriment du facteur humain.
- Elle met en exergue le processus traité (par exemple la
publication des comptes sociaux) mais ne qualifie pas assez la hauteur de la marche à franchir
(comment faire évoluer les acteurs de la fonction financière) pour que la
Direction Financière dépasse son rôle traditionnel.
- Elle prépare bien le projet informatique qui va découler
du choix de progiciel mais le déconnecte
de l’accompagnement que nécessite ladite transformation.
La
conduite du changement se résume alors souvent à un projet de formation (aux
outils, aux procédures, aux règles de gestion) des collaborateurs impactés par
cette transformation. Et elle est vue comme telle, une fois le projet démarré.
La question se pose alors en ces termes:
- Le progiciel doit-il être
choisi sur la base d’un alignement à
la nouvelle mission de la direction financière ?
- Ou faut-il aborder ce choix
de progiciel comme un vecteur de la transformation
du modus operandi de la fonction financière ?
L’approche classique constitue une réponse à cette
question, orientée dans le sens de la transformation. Nous allons la challenger, dans les paragraphes
suivants, par une proposition d’approche alternative
qui prend prioritairement en compte
l’alignement à la nouvelle mission de la direction financière.
Choisir un progiciel sur la base de l’alignement au
nouveau rôle de la Direction Financière signifie changer la nature du Business Case.
Ce Business Case nouvelle version va prendre en compte
les trois composantes de la transformation de la mission de la direction financière.
Ces composantes sont regroupées dans une matrice
d’impacts à trois dimensions:
- L’organisation (O) : les processus de l’entreprise avec les outils
qui les supportent.
- L’humain (H) : la culture de l’entreprise et la capacité des
collaborateurs à changer.
- Le management (M) : les rôles de chacun dans l’entreprise et les
valeurs associées.
Pour réaliser ce Business Case, il est donc important de
bien cadrer le nouveau (ou futur) rôle de la direction financière, en séparant deux horizons:
- L’amélioration
continue: c’est tout ce qui peut être rapidement optimisé, avec
un travail essentiellement centré sur les processus, pour rapprocher la
direction financière de son rôle étendu (prévision, prospective).
- La transformation: c’est le changement à conduire en profondeur pour
amener la direction financière vers son rôle cible (stratégique).
Ensuite, une fois ce cadrage validé, vient l’étape d’analyse
de la marche à franchir entre l’horizon le plus court (l’amélioration
continue) et la cible (la transformation). Cette phase d’analyse s’appuie sur
la matrice d’impacts. Elle prend en compte les trois dimensions de la
transformation pour en évaluer la maturité dans la perspective du changement du
rôle de la direction financière.
Dans l’horizon court que constitue l’amélioration continue,
les composantes (M) management et (O) organisation sont les plus importantes et
celles sur lesquelles la conduite du changement se focalise. Dans l’horizon
long que constitue la transformation, les composantes (O) organisation et (H) humain
sont celles qui demandent le plus de travail en amont.
Dans le cadre d’un alignement du choix du progiciel sur
la nouvelle mission de la direction financière, voici un exemple de ce que
pourrait qualifier l’analyse d’impacts.
Dans cet exemple, le Business Case qualifie la
trajectoire et l’impact de la transformation de la mission de la direction financière
comme suit:
- Les processus de
l’entreprise changent de façon forte: c’est le cas par exemple quand la direction
financière devient le fournisseur attitré des informations stratégiques pour le
comité de direction; alors toutes les directions opérationnelles passent par le
contrôle de gestion pour publier (en interne voire en externe) des informations
économiques.
- Les pratiques et savoir
faire des opérationnels de la direction financière changent de façon
significative; dans le cas présent c’est le contrôleur de gestion qui franchit
la plus grande marche.
- Les comportements vont
fortement changer puisque l’on passe d’une culture de l’information financière décentralisée
à une culture centralisée. Les valeurs de l’entreprise ne sont toutefois pas
remises en question.
Ce Business Case remplit bien sa fonction car il définit
les objectifs et les enjeux de la transformation, la marche à franchir (donc
les risques) et la trajectoire (les deux horizons). Il ne reste plus qu’à
évaluer un budget.
Une fois ce Business Case validé, la phase d’expression
de besoins peut démarrer. Exprimer le besoin doit néanmoins conserver la même
méthode que celle du Business Case, à savoir distinguer deux horizons entre l’amélioration continue et la
transformation profonde.
Dans beaucoup de phases d’expression de besoins, il est compliqué de se projeter vers l’horizon le
plus long; les intervenants client
ont tendance à revenir sur des bases
connues, à savoir leur actuel mode de travail. Une astuce pour contourner
cette contrainte consiste à séparer les
ateliers d’expression de besoins en deux temps: 1/ comment travailler comme
aujourd’hui mais de façon plus optimisée, avec des améliorations à court terme,
2/ quelle sera la façon de travailler demain dans le cadre de la nouvelle
mission de la direction financière. L’attendu
de ces deux types d’atelier n’est pas le même en matière de niveau de détail;
en effet, il est difficile de se projeter dans un rôle futur et d’en détailler
les modes opératoires. Il faut accepter
cette réalité.
Le cahier des charges qui en découle doit conserver la
distinction entre des deux horizons. Il est ainsi plus lisible pour les sociétés qui seront consultées dans la phase de
qualification des solutions sélectionnées.
Cette approche prend en compte la nouvelle mission de la
direction financière. Elle change la
nature de l’aide au choix de progiciel essentiellement dans la partie
Business Case et dans l’expression de besoins.
Son intérêt peut être résumé en quelques points:
- Elle n’est pas beaucoup plus
lourde que l’approche classique, autant en terme de délai que de mobilisation
de ressources internes;
- Elle permet de bien définir la trajectoire (horizons court
et long) de la transformation et la
place du système d’informations dans cette transformation;
- Elle qualifie l’impact de cette transformation sur les populations
concernées;
- Elle clarifie la nature du projet de mise en œuvre du système d’informations
pour les acteurs qui vont être consultés (éditeurs, intégrateurs) et ceux qui
vont opérer ce projet (DSI, Métier);
- Enfin, elle permet de choisir un progiciel comme un réel
investissement industriel, sur du long
terme. En effet, la tentation est souvent grande de choisir le progiciel
qui permet de corriger les dysfonctionnements d’aujourd’hui sans qualifier sa
pertinence dans l’attendu de demain. Comme
le rappelle l’analyse d’impacts, le progiciel n’est qu’un des vecteurs du
support des processus de la direction financière.
Alors,
choisir un progiciel financier, alignement ou transformation ?
Dans la mesure où la direction financière voit sa mission
évoluer et partant du postulat que son support essentiel est le système
d’informations, choisir un progiciel constitue la première étape d’un investissement majeur pour l’entreprise.
L’approche à privilégier est comparable à celle d’un investissement industriel; il s’agit de
prendre en compte des besoins d’amélioration continue, situés sur un horizon
court terme, tout en considérant l’alignement
de ce choix avec la nouvelle mission de la direction financière, sur un horizon
plus long terme.
Le Business Case est donc plus central que dans une
approche classique d’aide au choix. Il prend en compte l’impact de cette transformation profonde de la mission de la
direction financière, autant au niveau de la culture d’entreprise, de
l’organisation globale que de ses conséquences opérationnelles que sont les
pratiques métiers et les vecteurs (dont le système d’informations) de support
aux processus de construction de l’information financière. Et il définit sur
ces bases la trajectoire de ce changement, incluant le projet de système
d’informations.
Choisir un progiciel financier, dans ce
contexte d’évolution de la mission de la direction financière signifie aligner ce choix sur cette trajectoire.
Thierry Biyoghé