lundi 4 mars 2013

Le manager: intendant ou conducteur

En 2012, un article sur la différence entre un manager et un leader a inspiré beaucoup de commentaires sur le réseau social Viadeo en France. Il avait l'avantage de replacer le mot 'manager' dans son sens étymologique et de le confronter à un concept très fort en entreprise, le leadership.

Ce débat est passionnant et les réactions qu'il a suscité sur cet espace d'échange sans contraintes qu'est Viadeo nous a donné envie de l'aborder à notre tour, différemment.

Prenons la définition du mot 'manager' telle qu'inscrite dans un dictionnaire (par exemple sur Internet: http://www.le-dictionnaire.com):
  • (sports) entraîneur d'un sportif ou d'une équipe de sport
  • (mot anglais) personne qui administre, qui gère une entreprise
Utilisons un dictionnaire plus institutionnel, toujours sur Internet (http://www.larousse.fr), pour recouper cette information:
  • Spécialiste du management.
  • Personne qui gère les intérêts d'un sportif, qui entraîne une équipe.
Par contre, la définition du verbe 'manager' s'avère plus étendue:
  • Faire du management, organiser, gérer quelque chose, diriger une affaire, un service, etc.
  • Entraîner des sportifs, être leur manager.
Et le même dictionnaire souligne la difficulté d'emploi de ce mot:  Cet anglicisme est aujourd'hui courant. Si on souhaite néanmoins l'éviter, on peut le remplacer, selon le contexte, par dirigeant, directeur ou gestionnaire.

A première vue, le terme est défini surtout sous son aspect d'administration, de gestion. Pourtant le dictionnaire Larousse introduit la notion de dirigeant. Et ce qui laisse perplexe c'est la définition des mêmes verbes dans le dictionnaire Larousse.
  • Le verbe 'gérer' renvoie au verbe 'administrer'.
  • Le verbe 'administrer' renvoie d'une part au verbe 'gérer' mais d'autre part au verbe 'diriger'.
  • Le verbe 'diriger' renvoie à d'autres verbes, très différents des deux précédents: orienter, commander, conduire, mener, guider.

Et c'est là que réside tout le débat, surtout dans cette riche langue qu'est le français qui appuie un terme essentiel de l'entreprise sur un anglicisme qu'elle a du mal à définir.

Nous avons appliqué la même recherche au mot 'leader'. Dans le premier dictionnaire, sa définition fait référence à une notion de première place, de classement:
  • (mot anglais) celui qui est à la tête d'un groupe
  • équipe qui est en tête dans un championnat
  • par extension abusive toute entreprise qui n'est pas en dépôt de bilan se dit "leader sur le marché"
Dans le dictionnaire Larousse, la définition du mot 'leader' fait référence à la même notion:
  • Personne qui est à la tête d'un parti politique, d'un mouvement, d'un syndicat : Le leader du parti socialiste.
  • Personne qui, à l'intérieur d'un groupe, prend la plupart des initiatives, mène les autres membres du groupe, détient le commandement : C'est lui le leader de la bande.
  • Concurrent, équipe qui est en tête d'une compétition sportive : Le leader du championnat.
  • Entreprise, groupe, produit, etc., qui occupe la première place, un rôle de premier plan dans un domaine : Nous sommes les leaders en Europe pour ce type de produit.

A la lumière de ces définitions dans les dictionnaires français, il apparaît que le débat autour des termes de 'manager' et de' leader' est lié au fait que le terme de manager introduit indirectement la notion de leadership par le biais du verbe 'diriger' qui définit aussi le verbe 'manager'.
Et c'est exactement le quiproquo que l'on rencontre en entreprise.

Selon l'entreprise, les attentes vis à vis du manager diffèrent; en voici les axes principaux:
  • C'est un gestionnaire; il fait respecter les principes de fonctionnement de l'organisation.
  • C'est un chef: il fédère, par son autorité, les collaborateurs d'une partie de l'organisation.
  • C'est un pilote: il conduit les collaborateurs vers un objectif commun.
Ces axes ne sont pas antinomiques: un manager peut être attendu sur ces trois dimensions avec des priorités différentes selon les entreprises, selon leur culture et surtout selon leurs valeurs. L'axe du chef est cependant un pré-requis car il réfère à l'autorité, qu'elle soit naturelle ou héritée (par la position dans l'entreprise). En effet, qu'est ce qu'un manager sans autorité ?

Pour compliquer l'analyse, la pyramide hiérarchique de l'entreprise est également une composante qui influence le rôle du manager. En effet, un manager de niveau 1 (en charge d'un service par exemple) est évalué par un manager de niveau 2 (en charge du département dont fait partie le service), lui même évalué par un manager de niveau 3 (en charge du centre de profit dont dépend le département) qui finalement est le rang N-1 du dirigeant de l'entreprise.

Et de ce fait, le manager est orienté vers deux rôles: l'intendant ou le conducteur.

Dans la vie de l'entreprise, il n'est pas simple de concilier des managers dont le rôle (lié à leur personnalité et leur vision du management) est différent, dans une relation hiérarchique. Un manager de niveau N+1 de type 'intendant' percevra un manager de niveau N de type 'conducteur' comme un risque, un électron libre, peu soucieux de l'orthodoxie économique de l'entreprise. Dans le même esprit, le manager de niveau N, de type 'conducteur', percevra son manager N+1 de type 'intendant' comme une contrainte, frein à sa créativité. Le rapport hiérarchique devient de facto compliqué à maintenir et le manager de niveau N cherchera à changer soit d'organisation soit d'entreprise. C'est particulièrement le cas dans les entreprises de services où le capital est d'abord et essentiellement humain.

C'est sur ce point que réside tout la difficulté pour un dirigeant quand il a besoin des deux types de managers c'est à dire quand la culture et les valeurs de son entreprise conjuguent gestion et leadership. Il peut s'appuyer sur la direction des ressources humaines plus souvent légitime pour concevoir et mettre en oeuvre une gestion de carrière adaptée.

Thierry Biyoghé

Bickley Park












2 commentaires:

  1. Ce billet donnera lieu à publication en PDF en français uniquement du fait de sa spécificité au marché local. Cette publication sera cependant diffusée dans la zone francophone au sens large, en particulier au Canada dont les pratiques de management diffèrent.

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  2. Ce billet édifiant montre à quel point la langue française a ses propres codes. Il ne suffit pas de "copier" nos amis anglo saxon et franconiser leur langage. Encore faut-il en comprendre le sens réel et savoir l'appliquer "à la française"...

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